Pour aborder la confrontation de la femme avec le sport sous l’angle de la psychologie, il apparaît nécessaire de préciser le contexte de ces deux concepts.
Nous retiendrons le sport dans une définition qui, peut-être restrictive et caricaturale, permet d’isoler cette activité corporelle des autres manifestations de la motricité humaine.
Nous distinguons ainsi :
l’activité motrice spontanée .
Elle est synonyme de vie. En effet, par les mouvements du fœtus in utero, directement perceptibles par la mère à travers la paroi utérine, elle témoigne de la vitalité d’un organisme. Ultérieurement, cette motricité, d’abord anarchique, va s’organiser en suivant les lois du développement psychomoteur, les théories de l’apprentissage, les limites des codes sociaux en vigueur etc ...
L’éducation physique.
Il s’agit là d’une fonction socialement définie (quant à ses moyens et ses buts), exercée en général dans le cadre extra-familial de l’école. Elle vise à développer le potentiel moteur de chacun (d’autant plus nécessaire en milieu urbain, synonyme de sédentarité ou de contrôle impératif de cette motricité par les règles de sécurité routière en particulier) et à donner toute sa valeur à la compréhension d’une communication non verbale à partir du langage du corps. En cela, elle complète l’hégémonie du langage verbal utilisé dans les autres matières des programmes scolaires. Pour nous, elle permet une sensibilisation au respect de l’autre dans sa différence en particulier corporelle et ethnique (et pourquoi pas sexuelle) et une reconnaissance de tout l’espace qualitatif des sensations comme des émotions.
Les activités sportives.
Ici, l’épanouissement de l’individu dans le respect de l’autre utilise le principe de la compétition et du spectacle. Ceci sous-entend que la rivalité spontanée, née de la conscience d’une différence de compétence interindividuelle, devient structurée par l’objectivation quantitative des résultats sportifs. A partir de ceux-ci, vont se hiérarchiser les places de chaque individu dans une reconnaissance sociale originale qui permet de mettre à distance les critères d’inclusion précédents (lignée familiale, insertion socio-économique ...). Puisqu’inexistantes sans jurys et publics, ces activités deviennent également le lieu privilégié d’expression du besoin de fête. Nous sommes donc dans un espace qui, répondant au malaise né de l’individualisation et de l’anonymat croissant, vise l’équilibre de l’individu avec lui-même et relativise ses différentes appartenances sociales.
Le sport de haut niveau .
Cette activité physique naît des précédentes. En effet, ses critères objectifs de définition correspondent à deux points : d’une part, lors des sélections, la réalisation des performances qui permettent d’intégrer la catégorie dite élite définie par chaque discipline sportive ; d’autre part, l’enjeu économique investi par une société pour favoriser le développement du "potentiel" ainsi reconnu (qu’il s’agisse de bourses directement attribuées, ou de participation indirecte aux différents frais occasionnés par la pratique sportive intensive).
A propos de ce deuxième point nous pouvons signaler une différence sensible dans la reconnaissance "économique" des performances sportives masculines et féminines. Ceci est particulièrement visible au moment de prendre en compte les équipes professionnelles féminines par exemple.
Des critères subjectifs, nous ne retiendrons ici que le constat de la nécessité d’une tension d’insatisfaction constamment activée : la place de second n’est jamais suffisante, celle de premier est précaire. De celle-ci, découle le principe d’un déséquilibre posé a priori.
A ces notions physiques, nous proposons de confronter "la femme". Immédiatement, il convient de souligner la complémentarité avec "l’homme". Qui dit l’un sous-entend l’autre. L’un n’est pas sans l’autre. A notre sens, si cette complémentarité est respectée dans tous les espaces d’activité physique précédemment définis, elle se discute dans la pratique sportive intensive visant la performance.
Nous laissons aux autres auteurs le soin de préciser les différentes modalités d’expression des performances sportives en fonction des sexes (variations des constantes biologiques, des progressions d’entraînements...).
Nous voudrions attirer l’attention sur ce que représente l’objectif sportif : un titre de champion. A travers notre expérience de suivi psychologique de sportifs de haut niveau pratiquant en particulier des disciplines individuelles, nous avons pu prendre toute la mesure du constat suivant : un champion est à lui-même son propre produit. Ce constat renvoie à la neutralité du mot grec athlon (racine étymologique du mot athlète) : ni masculin, ni féminin, il condense aussi l’acte performant et la récompense. Nous sommes bien dans l’univers d’un tout qui se suffit à lui-même.
Contrairement à l’enfant, produit de la complémentarité des sexes, différent de ses géniteurs, l’acteur de la performance sportive représente l’aboutissement de la répétition des entraînements visant à la formation d’un néo-corps sportif. Cette notion d’auto-génération est en-deçà de la problématique de la différence des sexes ; en cela elle n’interfère pas plus avec le masculin que le féminin.
Cependant, cet "autre corps" sportif se caractérise par un investissement privilégié de la musculature grâce à une attention très subtile portée aux sensations (proprioceptivité comme nociceptivité), une familiarisation avec la violence des affects et des émotions. En cela, il évoque les idéaux de virilité (concept pris dans le sens de la puissance et de la force) qui se rapproche des valeurs rattachées au masculin. Et cette assimilation pourrait exclure le féminin.
La question qui se pose alors aux athlètes de haut niveau amenés à privilégier leur adaptation à l’objectif de la performance sportive devient la suivante : l’articulation entre leur épanouissement psychoaffectif et sexuel extra-sportif (masculin ou féminin) et leur travail d’approfondissement et de développement de leur compétence sportive (de l’ordre du viril). Elle est d’autant plus aigüe que la discipline exercée est fortement connotée soit du côté masculin (sports de combat), soit du côté féminin (patinage artistique). Ainsi les difficultés rencontrées concernent aussi bien les hommes que les femmes. Pour les uns comme pour les autres, la recherche de la "virilité" sportive ne peut être structurante pour l’individu que si elle est intriquée avec l’épanouissement de la complémentarité des sexes.
* Auteur de : L’adolescent champion contrainte ou liberté Paris, PUF, 1992