Associée à la forme, la jeunesse, l’efficacité..., la notion de sport infiltre le discours ambiant. A tel point qu’elle devient une valeur de référence d’une bonne santé aussi physique que psychologique ou sociale. Dans les curriculum vitae n’est-il pas apprécié de voir apparaître une pratique assidue ? Le corps redessiné par le développement musculaire n’est-il pas support de tous les critères esthétiques positifs ? Ce phénomène ne peut que renforcer la valeur éducative initialement recherchée. En effet, le sport moderne est né au début du XIXème siècle dans les collèges anglais afin d’apporter une réponse à certains débordements agressifs et de réguler les instincts libérés par la poussée pubertaire. Actuellement, où en sommes-nous ? Comment maintenir cette proposition dans le registre de l’épanouissement de la personne ?
Les activités d’éveil (bébés nageurs, baby-gym...) concernent les enfants préscolaires. Elles ont l’avantage de donner un lieu privilégié pour la découverte et le renforcement d’un plaisir à vivre dans la motricité, notion fondamentale pour la structuration de la personne. Respectant les rythmes, les capacités pré-langagières de communication de l’enfant et la place des parents, elles ne peuvent qu’être bénéfiques. Bien évidemment, elles sont à discuter lorsqu’elles deviennent une solution de garde, de rejet parental ou, ce qui est finalement beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense, d’investissement excessif élitiste. Si, ce dernier point n’est pas le fait des parents, il peut l’être des éducateurs sportifs voire des dirigeants de club qui voient là une pépinière de champions... Attention !
L’éducation physique qui s’exerce en général dans le cadre extra-familial de l’école est une fonction socialement définie (quant à ses moyens et à ses buts). S’appuyant sur les règles du jeu de certaines disciplines sportives comme d’ailleurs sur des techniques d’expression corporelle (mime, jeu de rôles...), elle met la compétition entres parenthèses. Elle vise à développer le potentiel psychomoteur de chacun et à donner toute sa valeur à la compréhension d’une communication non verbale et des émotions à partir du langage du corps. Facteur de socialisation évident, elle est le lieu privilégié de l’éducation à la différence, qu’il s’agisse du "look" ou de la compétence psychomotrice elle-même souvent d’ailleurs reflet de facilitation ethno-culturel : ainsi les petits gros sont à l’aise en natation et les grands maigres en athlétisme etc... Comme tout système pédagogique, l’éducation physique devrait pouvoir correspondre à une adaptation du "savoir-à-transmettre" à l’élève à partir d’une écoute et d’une attention particulières à "là-où-il-en-est" de son développement psychomoteur... et non l’inverse c’est-à-dire l’adaptation de ce même élève à la transmission d’un savoir "standardisé".
Cette exigence peut paraître irréalisable et il est certain que dans le quotidien des faits pédagogiques, la rigueur des programmes à observer et leur fréquent renouvellement, elle peut paraître une douce utopie. Ceci étant dit, il semble important que, malgré une difficulté de réalisation, le souci qu’elle représente soit constamment présent dans les discussions sur les questions pédagogiques comme médicales.
Quoiqu’il en soit, par son originalité et la place qu’elle donne au corps, justement hors-compétition a priori, cette discipline doit pouvoir être maintenue et son enseignant soutenu... presque "envers et contre tout" !
Attitude parfois très difficile à maintenir si l’on s’en réfère aux demandes de dispense, en consultation, elles font apparaître les limites de cette pratique.
Comme par exemple :
un surcroît de travail domestique (lessives !), des exigences de disponibilités (participation aux accompagnements sur les sites sportifs) ou encore d’investissements financiers (matériel, chaussures etc...).
une occasion de libérer du temps pour un cours de maths supplémentaire (satisfaction élitiste des parents) ou, au contraire de manière trop permissive, pour un moment d’école buissonnière (fuite pour l’enfant d’une trop grande solitude à la maison).... en particulier entre jeunes pratiquant "leurs" sports.
une relation complexe du "prof de gym" (parfois, surtout au collège, également prof principal) avec ses élèves ? Quelle est la place de la "pudeur" pubertaire et de la séduction ? Sur un autre registre, comment se passent les cours eux-mêmes : ne sont-ils pas le lieu de scènes de violence verbale comme physique, voire même de véritables règlements de compte ou de racket entre élèves ?
un surmenage : additionnée aux autres activités sportives n’induit-elle pas en particulier des difficultés de récupération avec troubles du sommeil ?
Les activités sportives dans le cadre scolaire comme extrascolaire s’organisent autour des compétitions. Ceci sous-entend que la rivalité spontanée, née de la conscience d’une différence de compétence interindividuelle, devient classificatrice et se structure autour de l’objectivation quantitative des résultats sportifs. Nous sommes ici dans un espace qui, répondant au malaise (principalement urbain) né de l’individualisation et de l’anonymat croissant, vise l’équilibre de l’individu avec lui-même, en relation avec les autres (en relativisant ses différentes appartenances sociales).
Effet miroir de ce dernier point, apparaît la réappropriation des règles de jeu de disciplines alors appelées "officielles" sous forme de "sport de rue" par des bandes de jeunes en mal d’insertion.
Il faudrait également inclure les disciplines non olympiques et/ou non fédérées occasionnant des prises de risque sans contrôle : surf sans casque ou roller sans protection... Par ailleurs, ne faudrait pas omettre les enfants "mannequins" même occasionnels qui s’astreignent à des rituels diététiques voire à des séances de musculation "sauvage" pour satisfaire aux règles d’une véritable compétition esthétique.
A ce point de la discussion, il est intéressant de remarquer que la pratique sportive interpelle la personne agissante différemment selon les disciplines. Référée au développement psychomoteur, nous est apparue une nouvelle classification : d’un côté les disciplines dites narcissiques, de l’autre, les disciplines dites objectales. Les premières (gymnastique, patinage artistique, natation synchronisée, plongeon...) ont comme caractéristiques de fonctionner en circuit fermé : on est à soi-même son propre rival ; les compétitions sont une ultime répétition des entraînements, l’évaluation est davantage appréciée que mesurée. Les secondes (sports collectifs, de combat, d’opposition...) doivent négocier constamment avec la présence de l’autre aussi bien du côté des coéquipiers, que des adversaires ou des arbitres. Or dans l’évolution de la personne ces deux étapes se succèdent : il faut être d’abord sûr de soi (avant un an) avant de s’ouvrir aux autres (de 1 à 3 ans). Bien entendu nos enfants n’ont plus l’âge de ces stades du développement, cependant le fait de les mettre en situation de fonctionner selon le mode de ces moments, en provoque la réactivation. Aux parents et enseignants de trouver le juste compromis ! Favoriser la pratique d’une discipline de type narcissique donne un lieu de réassurance, idéal pour "recharger ses batteries" et ainsi mieux affronter les inconnues du fait de grandir... au risque de se réfugier dans un cocon de régressions ! ; favoriser la pratique d’une discipline de type objectal renforce constamment la confrontation à l’autre... au risque de ne plus exister que dans l’affrontement !
Ainsi une pratique sportive peut à la fois être une structure d’accueil bénéfique et risquer d’enfermer la personne. De cette classification à partir du développement psychologique de l’enfant découle la compréhension de l’attirance que peut représenter telle ou telle pratique sportive à tel ou tel âge ; ainsi que l’intérêt d’un apprentissage dans des pratiques les plus diversifiées possibles afin de constituer "un patrimoine psychomoteur" pendant cette période de vie où la mémoire est la plus réceptive.
Apparaissent alors deux notions de "bon sens " :
favoriser l’accès à nos jeunes interlocuteurs avant la fin de la période pubertaire à un maximum de programmes psychomoteurs complémentaires les uns des autres afin qu’ils aient à leur disposition un patrimoine constitué d’un potentiel adaptatif le plus riche possible. Ainsi confortés, ils pourront affronter la variabilité de plus en plus grande de leurs futures conditions de vie.
à travers un éprouvé psychomoteur de plus en plus riche, respecter et développer leur plaisir de vivre avec eux-mêmes et en relation avec les "autres". La vie n’est pas une "galère" a priori !
La pratique sportive visant la haute performance est en elle-même une mise en situation de déséquilibre tant physique que psychique d’un individu donné dans la temporalité exceptionnelle et extraordinaire qu’est le spectacle de la compétition. Devenant un objet social, ses critères "objectifs" de définition correspondent à deux points : d’une part, lors des sélections, la réalisation des performances reconnues comme seuil d’intégration dans la catégorie dite "élite" définie par chaque discipline sportive ; d’autre part, l’enjeu économique investi par une société pour favoriser le développement du "potentiel" ainsi reconnu. Auto-régulée, elle doit être isolée des autres manifestations de la psychomotricité humaine et fera l’objet d’autres travaux. Cependant il convient de la garder comme système de référence à ne pas atteindre en dehors du cadre qui la définit : si elle "tire vers le haut" les dynamiques sportives (de l’école au club en passant par les stages de vacances...), ses critères de fonctionnement ne doivent en aucun cas être exigés en dehors des systèmes de contrôle qui les autorisent.
Il est absurde voire dangereux, d’exiger une progression dans les acquisitions dans un cadre non-aménagés d’entraînements.
Pour en savoir plus
Sport et EPS ; Actualité et dossier en santé publique, revue trimestrielle du haut comité en santé publique, 1996, n°14.