E. C. : " Dr Claire Carrier , vous êtes Médecin de plongée sous-marine, Psychiatre-Psychothérapeute et Psychanalyste également ; vous avez aussi travaillé en tant que Pédiatre avec les enfants ; vous avez mis au point une technique que vous avez appelée la "subaquathérapie" qui est donc soigner par immersion dans l’eau. On va y revenir mais je peux dire d’emblée qu’il s’agit d’une approche thérapeutique nouvelle, liée à une situation, unique finalement : celle d’être entièrement plongé dans l’eau.
Donc le sujet est dans l’eau à 32 ° d’une piscine , avec un scaphandre, c’est-à-dire qu’il respire de façon autonome et à côté de lui un moniteur : il va ainsi rester une trentaine de minutes sous l’eau. Quelques temps après, quelques jours après, il parle avec vous dans une psychothérapie psychanalytique disons "classique". C’est-à-dire qu’il y a une alternance de ce corps donc mis dans une situation un peu particulière avec une parole que vous, à ce moment là, vous écoutez.
Avant de revenir d’une manière plus précise à la technique, j’aimerais savoir à qui s’adresse ce type de thérapie ? Et peut-être aussi, l’historique, à savoir comment vous y êtes arrivée ? "
Dr. C.C. : " Je crois que c’est par là que les choses peuvent se comprendre le plus facilement : effectivement, ayant une double expérience : d’une part de monitrice de plongée et de médecin de plongée dans une technique qui est celle de la plongée sous-marine et d’autre part celle de psychiatre et psychanalyste auprès d’enfants qui est donc celle de la technique de la psychanalyse, j’ai pu dans la prise en charge de certaines formes de difficultés à exprimer par les mots des difficultés psychologiques ou situationnelles... introduire cette technique de la plongée sous-marine dans le cadre de la technique psychanalytique. Toutes les fois où j’ai été confrontée à des situations figées au niveau corporel ; qu’il s’agisse, par exemple, d’un enfant qui a eu un cancer, qui a été opéré et qui est complètement fixé sur une image de son corps qui l’a trahi, qui est devenu malade, qui a souffert, qui a été chimiothérapé etc... ;ou les fois ou certains enfants exprimaient un échec scolaire avec une fixation sur une incapacité à acquérir telle ou telle discipline, en particulier les mathématiques, je me suis rendue compte que l’approche verbale de la psychanalyse était, pas forcément en échec, mais était très complexe à aborder avec ces enfants.
Donc je me suis dis, après tout pourquoi ne pas essayer d’utiliser les modifications d’état de conscience qui sont secondaires à l’immersion du corps dans l’eau pour pouvoir faire avancer un petit peu les choses auprès de ces enfants. Et c’est vrai que c’est avec ce type d’enfants que j’ai commencé il y a deux ans et que petit à petit, nous mettons, avec les trois moniteurs avec lesquels je travaille, qui sont Jean-Pierre Gindre, Franck Pailloux et François Ruda, une technique qui associe une approche corporelle qui se situe essentiellement dans le non-verbal et une approche au niveau du discours où finalement on laisse parler les émotions du corps, sans pour autant être dans le moment où le corps est stimulé. "
- E.C. :" Oui, et alors justement qu’est ce qui se passe, par exemple, lorsque ces enfants qui n’ont peut-être pas effectivement une grande facilité à "parler" ce qu’ils ont vécu, si ça a été très dur, ou s’ils ont des blocages.... D’abord qu’est-ce qui se passe pour eux sous l’eau ? "
Dr. C.C. :" Pratiquement, si vous voulez, il y a deux grands axes de nouvelles redéfinitions du corps quand on est dans l’eau.
C’est que d’une part, surtout dans les conditions auxquelles nous nous sommes astreint, c’est-à-dire une piscine qui est un cadre strictement reproductible, une eau qui est à 32°, et une relation tout à fait privilégiée avec un moniteur, puisqu’il s’agit de cours particuliers. Dans ce cadre très particulier on essaye d’autoriser la personne à réinvestir deux choses :
d’une part, la respiration, puisque quand on est dans l’eau, on voit ses bulles, ça n’a l’air de rien comme cela mais dans l’air, on a l’impression que respirer est une évidence . Or, dans l’eau on est confronté à la visualisation de sa respiration ce qui est un moment, en général, d’émerveillement, de la part de ces enfants ou même des adultes, qui découvrent leur respiration. Le deuxième point qui est important, c’est que, aussi, la respiration devient un outil pour se déplacer. C’est-à-dire que, quand on inspire on remonte et que quand on expire, on descend dans l’eau. Donc en fait on n’a plus besoin des bras et des jambes et de courir et de lutter contre tous les phénomènes de pesanteur pour se déplacer et faire, éventuellement ce qu’on a envie de faire. Autrement dit, on découvre tout un système de locomotion complètement différent. Et le troisième point qui est important, c’est le mode de communication qui se fait, essentiellement, par le regard. Et là, on retrouve tout un système d’équilibre qu’on avait tous avec notre mère et un espèce de réinvestissement d’un moment ou l’on était bien avec notre mère, c’est-à-dire un stade que l’on appelle en psychanalyse, le stade narcissique, primaire ou secondaire suivant les écoles, mais en tout cas un stade d’harmonie avec le contenant maternel. Je dis bien ça, parce qu’il ne s’agit pas de revenir dans le ventre de notre mère parce que c’est une illusion totale, on n’était pas forcément bien dans le ventre de notre mère ! Il est vrai qu’avec l’expérience de pédiatrie que j’ai, les cas de souffrance foetale étaient vraiment relativement fréquents. Donc c’est une illusion collective d’imaginer qu’on était bien dans le ventre de notre mère, on a besoin de savoir qu’on était bien quelque part, mais en tout cas ce qui est sûr, c’est que on a tous, quand même, plus ou moins, une expérience d’un vécu agréable, non conflictuel, contenu, par une présence maternelle, qui n’était pas forcément la mère biologique d’ailleurs, qui peut aussi bien être le père. ... "
- E.C. :" Quand vous parlez de regard, ce n’était pas dans le ventre de la mère le regard.... "
Dr. C.C. :" Voilà, justement, mais ça cela s’assimile, c’est-à-dire que c’est l’équilibre avec l’objet maternant. Et cet équilibre avec l’objet maternant, c’est vrai qu’il passe par le regard dès la naissance. Et c’est l’échange de regard qui donne cette connivence avec l’objet maternant, contenant. "
- E. C. :" Et l’échange de regards sous l’eau, c’est avec le moniteur également ? "
Dr. C.C. :" C’est essentiellement avec le moniteur."
- E.C. :"Alors quand vous parlez aussi de l’eau, effectivement, on pense aussi au passage de l’air dans l’eau et de l’eau dans l’air, peut-être aussi comme une naissance ? "
Dr. C.C. :" Voilà, toute la thérapie est basée la-dessus. C’est-à-dire que c’est basé sur la prise en compte de la notion du "passage" et c’est vrai que devant les cas comme je vous ai cités tout à l’heure, c’est-à-dire les gens qui ont du mal et qui sont fixés à une position donnée, n’importe laquelle, ils ont du mal à accepter la transformation, la modification, l’évolution ... grandir par exemple. Donc toute la question est de réinvestir le passage pour les inciter à accepter la transformation, sans pour autant qu’ils pensent qu’ils vont perdre tout ce qu’ils ont. C’est ça le problème, le risque du "passage", c’est le risque de tout perdre. Mais en fait, c’est une illusion ça aussi parce qu’on peut évoluer dans une dimension sans pour autant tout perdre par ailleurs ; ce n’est pas parce que vous apprenez l’anglais que vous oubliez l’espagnol que vous venez d’apprendre, c’est un petit peu caricatural, mais c’est un petit peu comme ça que ça se passe. Donc par cette approche de psychothérapie, médiatisée par la plongée sous-marine ou subaquathérapie, j’essaie de travailler avec les gens que je prends ainsi en charge , la notion du "passage" , que ce soit le passage entre l’équilibre aérien et l’équilibre aquatique ou entre la notion d’imaginaire, puisque dans l’eau on ne se parle pas du coup on peut imaginer n’importe quoi, et à l’air libre on parle donc on peut dire ce qu’on a imaginé, et les traces (un petit peu comme les rêves si vous voulez) laissées par son expérience corporelle, ou encore entre la notion du jeu avec une règle de jeu et le jeu libre : dans l’eau l’expérience corporelle est une telle expérience de facilitation et de plaisir que l’on retrouve tout un espace de jeu "sans frontières", j’allais dire ; les gens disent parfois "mais je me suis surpris à m’apercevoir que je pouvais bouger mon pied, me faire plaisir avec une palme etc..." et du coup, ils expriment tout un espace de plaisir à vivre, et à exister tout simplement, à jouer (il y en a même certains qui me disent, "mais j’ai même ri, ça faisait des bulles) etc... Donc tout un plaisir à être dans son corps qui est redécouvert et que j’essaie avec eux de "ramener à la surface" ".
- E.C. :"Oui, et alors est ce que avec ce plaisir, lorsqu’on sort de l’eau, la parole se libère un peu plus ? Enfin, ou du moins on peut arriver à faire émerger, puisqu’il s’agit quand même d’un cadre de psychothérapie psychanalytique, à faire émerger une parole de l’inconscient qui quand même était, semble-t-il assez figée avant la plongée ? "
Dr. C.C. :"Oui, c’est-à-dire, que par analogie de situation au niveau des sensations, on arrive à passer des caps. Par exemple : un enfant qui avait un problème de dyspnée, c’est-à-dire qu’il avait des problèmes pour respirer qui le mettaient en danger dans plusieurs situations, lorsqu’il a été dans l’eau, qu’il a vu ses bulles, qu’il a pu contrôler le rythme de son expiration, il a réaborder des antécédents d’asthme qu’il avait eu quand il était tout petit, qu’il avait oublié dans sa mémoire consciente mais que sa mémoire corporelle n’avait pas du tout oublié ; reparlant de ses histoires d’asthme quand il était petit, il a pu dire que, par exemple, il avait toujours une crise d’asthme quand il récitait une poésie devant toute sa classe. Donc l’asthme a été rattaché au regard de son professeur et de sa classe et petit à petit, on a pu dépasser la confrontation aux autres par le biais de la parole, et c’est cela qui bloquait cet enfant pour communiquer avec les autres. "
- E.C. :" Alors ça fait deux ans qu’existe cette subaquathérapie ; vous en êtes encore au stade expérimental, vous avez commencé avec des enfants, mais vous avez aussi des adultes ? "
Dr. C.C. :" En effet, maintenant ça s’étend de cette façon là. C’est-à-dire qu’effectivement, je pense que les adultes aussi ont une symptomatologie, disons au sens large de blocage et que cette approche peut vraiment dans beaucoup de circonstances, aider le processus de la psychothérapie dite classique et, récemment aussi, nous adjoignons un outil thérapeutique sous-marin qui est la musique. Nous avons tout un protocole de recherche avec le C.I.R.M. , à Nice, et Michel Redolfi, en particulier, qui vise à sonoriser l’espace aquatique afin de donner une mise en son et de stimuler cette écoute toute particulière sous-marine : c’est une écoute monophonique, puisque le tympan est transparent dans le milieu aquatique, donc on écoute avec la résonance de son crâne et en faisant cela, on n’a plus la latéralisation d’une part, puisqu’on a un seul crâne et non plus deux tympans en fait, donc c’est une écoute monophonique d’une part qui gomme la latéralité et on gomme l’histoire aussi, puisque on ne peut plus faire de nuances en raison de la vitesse de transmission du son dans l’eau etc... donc on n’a plus d’histoire, on n’a plus recours aux nuances et donc on est confronté à un état, à un état sonore d’une part et à un état aquatique qui rappelle quelque chose comme lorsqu’on était porté par la mère, bien sûr, mais là, ce qui est très intéressant c’est que c’est une mère-sans-intention. C’est un état maternel, point, qui n’exige rien, qui ne demande rien qui est là et c’est tout. C’est cela qui est intéressant dans cette expérience. "
- E.C. :"Oui, donc ce qu’il faut dire peut-être aussi, Claire Carrier , c’est que évidemment ça ne peut se faire qu’avec un contrôle médical : c’est une ordonnance que vous délivrez si je puis dire. "
Dr. C.C. :"Oui, il est bien certain que pour moi, c’est une nouvelle thérapie et c’est un binôme qui se construit avec une alliance thérapeute / moniteur, mais que cela ne peut pas se faire sans prescription psychiatrique. "
E.C. :"Je vous remercie Docteur Claire Carrier , donc nous avons parlé de la Subaquathérapie, Soigner par immersion dans l’eau. "