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Le Monde - Psycho
Vive la douleur !
vendredi 27 août 2004

Vouloir se plier à l’école de la discipline de compétition sportive rompt le cours habituel de la vie ; le corps devient plus douloureux. Que l’on soit roseau ou chêne, dans l’adaptation réside la solution. Certains feront leur bonheur de la surprise et de la curiosité de l’improvisation, tandis que d’autres se crisperont au premier défi. Le plaisir de vaincre est aussi l’apprentissage du traumatisme et de la douleur.

L’anémie provoquée par la répétition des microtraumatismes génère une baisse des défenses immunitaires (d’où l’augmentation du risque d’infection). Les tissus des tendons sont à leur point de rupture entre l’augmentation de la masse musculaire et la fixité des os. Surstimulée dans une séquence gestuelle spécifique inhabituelle, la trame osseuse menace de se fracturer. La blessure avec effusion de sang est attendue.

Chez les sportifs, la douleur est une excitation, cédant à l’échauffement. Elle est considérée comme un outil de travail qui régule l’intensité de l’effort à fournir. Entre sportifs, elle n’est pas taboue et installe une connivence entre initiés (comme pour l’ancien combattant, la cicatrice est un trophée de bataille, elle atteste la véracité de l’événement).

Elle ne demande pas un soulagement, mais plutôt un verdict approbateur du travail bien fait. Comme toutes les autres expressions des sensations, elle participe de l’effervescence sensorielle globale liée à l’activation des compétences gestuelles du corps. « Ça fait du bien de me faire mal ! », et il ne s’agit pas de masochisme : c’est un baromètre de l’éveil global du corps.

Les blessés continuent souvent leur compétition car c’est le repos forcé qui fait mal : à l’immobilisation coïncide une « prise de tête » que manifeste le retour des tensions affectives.

Bizarrement, plus les sportifs atteignent un haut niveau, plus la plainte douloureuse émise n’est pas proportionnelle à la lésion actuelle, mais plutôt au fantôme d’un accident terrifiant déjà vécu.

Ce virage de l’excitation douloureuse à la passivité de la plainte interroge. Est-ce une dépression masquée ? La peur d’une récidive ?

Malgré les apparences, n’est pas dans ce registre le hurlement intempestif de l’omnipotente victime d’un crime de lèse-majesté : le traumatisme physique, en rappelant à l’intéressé sa limite, est vécu comme une trahison du corps propre. La plainte est aussi requête. Et les mots se colorent de sentiments.

Dans l’exigence d’exception humaine du très haut niveau sportif, la plainte douloureuse est une manière d’exprimer, comme tout un chacun, son désir d’être en relation, comme d’avouer que le plaisir de bouger n’est plus aussi fort qu’avant. Cela fait mal de ne plus éprouver pleinement les satisfactions d’origine musculaire. La plainte douloureuse du sportif est entendue lorsqu’elle n’est pas étouffée par le soin. Comme la pratique sportive, elle n’est pas une pathologie.

Claire Carrier

 

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