Comprendre la symbolique du sport, c’est aller chercher derrière les mots prononcés. Toute interpellation de cette symbolique, évidente pour les initiés, menace le sportif. Il supporte mal le débat sur le sport, surtout venant des non-initiés, comme si rechercher la moindre corrélation explicative blessait sa personne dans son intimité et sa liberté.
Car la pratique sportive est au présent, sans aucune nécessité de justification. Le corps en mouvement est la matérialisation immédiate des forces de vie. Sans déperdition, le rendement de cette « machine » émotionnelle est maximum. Sur le mode intuitif, « animal », il parle de lui-même : ce qu’il dit est un état d’avant le langage.
Le dire « sans les mots » est donc synchrone avec l’acquisition d’une gestuelle. Ensemble ils définissent l’intelligence gestuelle : aptitude à associer les sensations kinesthésiques. L’excellence sportive en est l’accomplissement : rester concentré sur les repères posturaux essentiels et laisser faire la cinétique du mouvement appris. Elle apparaît dans sa forme pure dans les disciplines individuelles ne nécessitant pas de support matériel (gymnastique, athlétisme, plongeon...).
L’intelligence gestuelle fonde l’accès à la mentalisation, c’est-à-dire l’ouverture de la conscience au monde des idées et autres concepts. Les Anciens le savaient : les sages philosophes étaient pour beaucoup des champions olympiques.
Nos champions actuels brillent par leur jeunesse, à l’apogée de leur pensée kinesthésique : 16 ans pour les filles (Le Pennec ; Manaudou) ; 20 ans pour les garçons (Gatlin). Et ils n’ont pas besoin de tirades ou d’autre discours que celui de leurs talents kinesthésiques : coordination, vitesse de déplacement, sûreté des appuis et des prises de repère...
En général, ils n’ont guère plus de trois ou quatre années d’entraînements intensifs, peu de blessures invalidantes et aucune contre-performance : leur progression constamment ascendante pourrait prouver l’acquisition d’une prescience motrice au langage.
Goûter au plaisir du penser parasite l’accès aux vibrations, à l’état de grâce qu’est l’exclusivité du ressenti. Si le sport permet de recommencer l’exercice de zéro et donne sa valeur à l’instant, gommer la trace de son vécu dans sa mémoire est utopique. Car la mémoire résiste à la volonté : impossible d’oublier que l’on sait tenir sur un vélo ou que l’on sait nager !
Tendre vers l’excellence du langage gestuel impose aux sportifs expérimentés de tenir compte de l’intellectualisation qu’ils vont avoir de leurs sensations : une pensée technique qui les bride et les déconnecte de leur acte.
Halte donc à cette mentalisation forcée qu’est la psychologisation du sport. Faisant se pavaner nombre de gourous (leur amour rime avec emprise), le dopage du mental contraint le sportif à jouer sa partition hors registre, au mépris de son intuition. Il a une médaille d’or... celle de la victime !
Claire Carrier