Une des valeurs morales de l’olympisme est l’égalité des chances entre les participants. Le principe de compétition mesure et classe les différences entre les individus selon une pyramide dont le sommet est réservé à un seul. Il accentue l’inégalité afin d’éviter les ex aequo, jumeaux siamois impossibles à départager.
L’objectif est que chacun se dépasse à travers l’échange avec son protagoniste qui effectivement est un semblable : même discipline, catégorie, sexe, niveau sportif, un double !
L’adversaire est l’image inversée de son envie de gagner. La régulation de la compétition revendique une seule différence quantifiable : la performance psychomotrice sportive. Par elle se redistribuent les rangs dans la fratrie planétaire des sportifs. Issus de la même lignée que sont les sélections pour chaque discipline, les sportifs sont égaux, donc frères.
Si des inégalités apparaissent, elles sont qualitatives et portent sur la disponibilité à se détacher de son double. Il s’agit d’un double incomplet pour le sportif ayant déjà fait ses preuves, lorsqu’il remet son titre et le rejoue avec l’intention de le garder. C’est comme si, le cordon insuffisamment coupé, il revenait chez ses parents pour recommencer son départ. Mais arrive le moment, comme pour la gymnaste russe Irina Khorkina, où, chez Papa Maman, il n’y a tout simplement plus de place pour l’accueillir.
Le sportif qui accède pour la première fois à un titre international est dans la même position que l’enfant performance, produit des grossesses médicalement assistées. Surtout s’il est l’aîné, le premier à établir la notoriété de la famille de sa discipline. Sa position d’aîné, modèle et fierté, peut le faire se confondre avec son double grandiose.
Lorsqu’un aîné sportif titré olympique comme Brice Guyart se retrouve en équipe, la fascination qu’il exerce ne permet pas un fonctionnement équilibré de la dynamique de groupe. Même s’ils s’en défendent, tous lui demandent d’être leur leader.
Lorsque les frères de lait sont coéquipiers sportifs, les tensions rivales deviennent alliances : le benjamin cesse d’être l’éternel second. Il rejoint même l’aîné. La connivence de ces néo-jumeaux est décuplée, leurs doubles sont complices. L’épreuve de relais (athlétisme, natation) est une configuration de l’alliance fraternelle entre néo-quadruplés.
Un autre cas de figure est celui de la fratrie artificielle, famille recomposée d’une même équipe. Frères égaux ou frères ennemis, l’expérience peut être positive ou négative, comme lorsque l’absence sur blessure de Mehdi Baala vint déstabiliser Leslie Djhone.
L’application de la règle du jeu tranche entre ces deux mêmes qui s’opposent. Là se pose toute la question de la mesure. Objective technique, comme subjective humaine, elle reste pour une part imprévisible. La vérité des Jeux est ailleurs : dans la famille des sportifs, c’est la reconnaissance de chacun, à la fois solitaire et solidaire.
Claire Carrier