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Le Monde - Psycho
La peur de perdre
dimanche 22 août 2004

La peur de perdre n’a rien à voir avec l’échec réel. C’est plutôt à partir de la construction de son échelle de mesure que le sportif ne sent pas son corps capable d’obtenir le résultat escompté. Envahi par les différents niveaux techniques de son geste spécifique, il a perdu pied avec le tempo de sa propre pulsatilité de vie. Absorbé par la répétition des modes d’emploi de la performance (qui parfois deviennent des injonctions magiques), il ne saisit pas ses intuitions performantes.

Cette peur est d’autant plus accessible que la discipline est individuelle et physiquement sobre : tir à l’arc, haltérophilie... La technique psychomotrice comme le matériel deviennent dominants. La stratégie gagnante ne repose plus que sur la spirale des vérifications de réglage des vitesses entre les processus cognitifs sollicités.

Chez la sportive, la peur de perdre se fonde sur le mouvement instinctif de défendre les petits, principale raison d’être de la performance musculaire naturelle (utérine). Cette crainte s’exprime aussi bien par celle de perdre sa féminité (cachée ou amoindrie par la pratique sportive : kimono, protège-seins, vêtements moulants qui compriment la poitrine...), de se perdre dans la pratique (perdre son odeur personnelle au profit de l’odeur de l’eau chez les nageuses) ; de perdre sa médaille ou son niveau sportif comme un équivalent de bébé.

Les femmes se donnent et se protègent. Les hommes se donnent et explosent. L’arrivée de la course cycliste sur route féminine n’a pas de commune mesure en termes de débâcle physique avec son homologue masculine. Chez le sportif, la peur de perdre s’exprime en fin de compétition. Il s’agit d’une peur de vaincre. Gagner est vécu comme la perte d’un objectif figuré. A égalité avec son adversaire, il reste « en dedans » n’osant affronter le gouffre qu’il imagine être l’au-delà de la médaille d’or.

Un rêve qui expire ne veut pas dire rendre l’âme ! Des systèmes de protection peuvent se mettre en place : la blessure permet de l’éviter ; la carapace musculaire, de surcroît tatouée, de la conjurer. Sur les plus hautes marches de l’excellence, ces peurs sont structurantes lorsqu’elles témoignent d’une pré-science protégeant la survie du corps adapté aux progrès biotechnologiques. Elles font du tort au sujet sportif lorsqu’elles sont un frein à son épanouissement. Il faut affronter la peur d’être soi !

En termes de risque, il est toujours difficile de lâcher ce que l’on a lorsqu’on n’est pas certain de l’avenir. Ce calcul hautement sécuritaire est valable partout sauf pour la vie relationnelle entre êtres humains vivants comme la rencontre sportive.

Concourir pour assurer son titre est un projet rigide, bloqué en apnée, indisponible à l’imprévu de la rencontre qui de toute façon est là. Même dans les disciplines fermées, il y a toujours quelque chose d’impondérable qui survient : nouvel éclairage, pas de tir glissant, eau salée... La pratique sportive est bien une école de la vie !

Claire Carrier

 

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