Qui sommes-nous, spectateurs de ce deuxième millésime grec des Jeux olympiques ? La descente de la confidentialité religieuse (toujours bien gardée par les moines du mont Athos) vers le peuple d’Athènes suffit-elle pour supporter le choc entre les versions antiques des olympiades, indissociables du sacré, et celles d’aujourd’hui, indissociables de la matérialité ?
La consécration olympique répond à une aspiration humaine universelle : être reconnu « manifestation du divin ». Au cours d’un moment unique, la « grand-messe » des Jeux, les compétiteurs mettent en scène leur recherche, à travers une gestuelle spécifique, d’un dépassement de leurs propres limites. De leurs exploits va naître un déséquilibre émotionnel de l’ordre de la surprise.
Cet heureux imprévu, ce subtil détournement est un rebondissement du vivant : il exalte les forces de vie. Grandeur qui, n’étant plus reconnue par des instances relevant du sacré, doit l’être par l’humanité dont nous, spectateurs, avons la fierté d’être un échantillon d’initiés. Là se fondent notre responsabilité et notre éthique.
Comment assumer cette place, alors que les unités de temps comme de lieu ne sont plus respectées ? L’éclatement des sites et des installations est tel que, quelle que soit notre distance physique d’avec le lieu de l’action, notre lien social dépend de la retransmission télévisuelle. L’oeil technique construisant l’image et l’information nous sépare de l’acteur sportif lui-même. Un standard marchand évalue nos réactions : le nombre de places vendues, de décibels émis, de têtes assistant aux retransmissions...
Si nous zappons, si nous « faisons » les finales, si nous quittons les gradins avant la remise des médailles, si nous nous refusons à l’écoute des hymnes nationaux, nous désacralisons le rituel. Nous consommons des images de performance sans donner à leur sens le temps de se dévoiler.
Plus rien n’est juste : le sportif doit accomplir son travail et devenir ce produit pour lequel il est payé. Le spectacle n’est plus que mesure : il est mort car sans conscience, robotisé. Nous, spectateurs, en sortons insatisfaits, excités par la frustration du trop vite avalé : notre quête d’un plus d’humanité est bafouée, car détournée sur une consommation par procuration d’émotions fortes.
Pour pallier cette catastrophe humaine, spectateurs, acceptons d’accoucher de nos champions ! Portons-les jusqu’à leur reconnaissance glorieuse ! Entourons-les de nos encouragements dans ce qu’ils ont de meilleur ! Tout en étant avisés des autres, choisissons ceux que nous suivrons du début à la fin de leur effort ! Aidons-les de notre discernement !
Quand bien même monnayé par les médias, notre formidable soutien bienveillant fonctionne comme un stimulant naturel, illimité comme la vie, sur lequel compte notre futur champion : « Le public ? c’est une drogue ! », avouent certains. Quelle meilleure prévention du dopage ?
Claire Carrier