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Revue Empan - N° 51 - Sport et intégration
Pratiques sportives et peurs adolescentes
mars 2003
Référence bibliographique
CARRIER Claire. Pratiques sportives et peurs adolescentes. Revue Empan, 2003/03, n°51, Sport et intégration, pp 11-14.

Le point de départ du processus intra-psychique de l’adolescence est la confrontation de l’appareil psychique du sujet avec la réalité de l’objet-corps , transformé par la puberté en l’espace de deux à quatre années. Ce processus est ce que la tête va faire des informations que lui renvoient ce corps au développement imposé par son appartenance à l’espèce humaine. C’est dire comme le corps du sujet est au cœur de l’adolescence. De même que l’intégration des sensations avait servi de base à la construction des assises narcissiques du Moi corporel chez le petit enfant, le ressenti des modifications corporelles de la puberté va participer à la conscience d’un Moi pubertaire.

Rappelons Freud (Freud, 1923) : « Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface » (c’est-à-dire à la surface du psychisme) « mais il est lui-même la projection d’une surface » (celle du corps). Dans des travaux ultérieurs Freud précisera que le moi, dérivé de sensations corporelles (principalement à partir de la peau donc du sens du toucher), peut être considéré à la fois comme une projection mentale de la surface du corps, et comme une représentation de la superficie de l’appareil mental.

La construction progressive (selon le rythme de la croissance somatique) de la nouvelle organisation du Moi corporel provoque une déstabilisation de l’image que le jeune a de son corps. Cet événement naturel échappe à tout contrôle individuel comme collectif : il se déroule « contre le plein gré de tous » ! Il impose la soumission à celui qui le vit. Nul ne peut dater exactement le début ou la fin de la puberté ; nul ne peut décrire ou anticiper avec certitude ce que sera son corps biologiquement adulte (non seulement en ce qui concerne les critères biométriques mais encore tout ce qui est de l’ordre de la maturation sexuée). La maturité physiologique autorise la reproduction dans une filiation grâce à une identité sexuée adulte. Ce point a deux facettes : d’une part la reconnaissance de la complémentarité des sexes : le masculin ne peut se vivre que dans une relation au féminin et réciproquement, sans la confusion que voudrait l’illusion « unisex » de type narcissique ; et d’autre part, l’inscription historique, puisque le produit de cette complémentarité est la procréation possible, donc l’inscription dans le rythme des successions de générations et l’acceptation du « temps qui passe ». Pour cela, certains auteurs pensent qu’a terminé son adolescence, celui ou celle qui, quel que soit son âge chronologique ou social, prend conscience de son inscription dans sa propre trajectoire de vie et donc s’approprie l’idée de son vieillissement comme son appartenance à la condition humaine.

Le deuxième objectif de ce travail de l’adolescence va être l’apprivoisement de soi. Le temps de l’adolescent n’est pas un long fleuve tranquille. Les données du passé, du présent, du futur s’enchevêtrent, créant un espace où peu à peu, avec des avancées et des reculs, des angoisses et des succès, une personnalité se dessine : féconde ou frustrée, souple ou rigide, autonome ou dépendante. Tous ces mouvements émotionnels se jouent dans une sorte d’urgence à vivre la nouveauté fortement teintée de la peur de cette nouvelle expérience. Cette urgence et cette peur riment avec une impossibilité à se projeter dans l’avenir des adultes, d’autant plus forte dans une organisation sociale adulte mal définie, et qui définit mal aussi la place qu’elle donne à sa jeunesse. Le développement pubertaire n’intéresse que celui (celle) qui est concerné(e) : l’accueil des jeunes par la communauté des adultes n’est plus régulé par la tradition de l’initiation. D’ailleurs c’est le jeune « éternel » qui devient un modèle : certaines bandes organisent des rituels de passage ouverts à qui le demande quelque soit son âge chronologique. Fini le cocon pare-excitant des parents !

Cette métamorphose corporelle (Françoise Dolto parle du « complexe du homard ») peut être comprise comme génératrice de peur pour celui qui la vit. Il (elle) sait ce qu’il (elle) quitte et ne sait encore où l’entraîne sa destinée. Le jeune doit petit à petit se laisser déposséder de son corps infantile, objet de beaucoup de satisfaction : précédant l’adolescence, la période de latence est un moment équilibré où le corps relativement silencieux et assuré, autorise l’épanouissement de la curiosité vers l’extérieur. Avec ce corps que l’on préfère cacher dans l’ampleur de vêtements unisex, tout est à recommencer !

Toutes ces nouveautés à vivre font de cette période pubertaire un facteur stressant : l’organisme qui le repère ne l’a pas encore enregistré dans sa mémoire. Tout événement de vie est donc a priori stressant : cette excitation normale est positive pour la dynamique individuelle. La question qui se pose n’est pas de l’éviter, mais bien au contraire de s’y adapter, de l’intégrer.

Dans ces moments où tous les repères sont réinterrogés, le fil rouge qui permet de ne pas perdre pied avec soi-même et de rester relié aux images précédentes est la continuité du sentiment d’existence. Ce sentiment s’appuie sur la permanence des sensations corporelles vitales essentiellement kinesthésiques : mouvements respiratoires, battements cardiaques, sensation du mouvement. Les « nouvelles » sensations peuvent s’y accrocher et devenir un enrichissement. Elles ne font pas rupture et ne sont pas une perte. L’équilibre infantile reste en mémoire même s’il n’est plus actuel. Savoir tenir sur un vélo ne gomme pas le « programme » se servir d’un tricycle, et ne gêne pas l’apprentissage du funambule. Afin d’éviter toutes les formes des refus de grandir (ou suradaptation , stagnation de la progression dans l’art de vivre), ce sentiment d’existence doit être renforcé autant que possible durant cette période si riche et fragile qu’est la puberté et son retentissement psychologique, l’adolescence.

C’est là qu’apparaît l’intérêt d’une pratique sportive. La règle est simple, admise par tous ; l’arbitrage tranche entre deux alternatives gagné/perdu : finies les « prises de tête » du comment faire ? Le regard qu’elle porte sur le corps n’est pas inquiétant : la pluralité des disciplines sportives permet à chaque originalité corporelle d’être reconnue et appréciée. Les « grandes tailles » ne sont pas des monstres, et les « petits gros » des tonneaux ! Les premières seront recherchées pour le basket-ball , les seconds pour la natation. Les sensations (primaires) kinesthésiques sont l’objet de toutes les attentions. Le groupe que constitue l’équipe, organisé autour de l’entraîneur, fonctionne dans un réseau de socialisation indépendant en particulier de celui de la famille ou de la formation.

La pratique sportive, support du déplacement de la fonction pare-excitante des parents

L’investissement de figures de déplacement, substituts parentaux (entraîneur, comme parrain, amis, enseignant.) servent de relais à la permanence de l’identité. Cela peut être rattaché à la notion d’objet transitionnel décrite par D.W. Winnicott pendant la première enfance. Cette période appelée la première individuation, correspond au passage d’une relation de dépendance absolue à la mère (ou à son substitut) et d’une expérience subjective de fusion à elle, à l’accession à un certain degré d’autonomie, à une différenciation de l’image de soi. L’enfant choisit alors un objet dit « transitionnel ». Ce dernier représente pour lui quelque chose ou quelqu’un qui n’est ni situé à l’extérieur de lui, ni en lui, mais qu’il utilise dans l’écart entre sa mère et lui tout au long de son individuation et le protège d’une angoisse de séparation, souvent terrorisante.

La pratique sportive comme incitation aux mécanismes de défense habituellement mis en place par les pré-adolescents

Le jeune incertain de lui-même, maladroit dans sa puberté, trouve dans l’adhésion aux règles sportives les solutions qu’il ne s’est pas encore formulées.

Comme si, ayant l’intuition d’un débordement possible de ses capacités de maîtrise adaptative à la violence de la poussée pubertaire, l’adolescent ouvrait un parapluie protecteur. Relais de la protection parentale, ce parapluie serait constitué d’un ensemble de comportements et d’attitudes qui rassurent car ils sont contrôlés, imaginés et décidés par le sujet lui-même. Par ce biais, le jeune adolescent tente de reprendre les rênes de son histoire.

Parmi ces mécanismes de défense possibles, nous retiendrons ceux qui sont la définition de la pratique sportive.

Le premier est l’évitement de la pensée par la fuite dans l’agir moteur. Aborder les conflits de type amoureux, avec les images parentales en particulier, fait très peur : mieux vaut ne pas les mentaliser (c’est l’âge du « bof »), et décharger l’énergie et l’excitation correspondantes dans la recherche des sensations du mouvement et de la motricité qui, de plus, ont l’avantage de conforter le plaisir d’exister. Il est bien évident que tout sport s’intéresse à la psychomotricité en premier chef.

Le second est le renforcement de la stimulation des sources de plaisir déjà connues, comme le jeu autour de l’oralité : mieux vaut ré-éprouver les satisfactions de la stimulation orale que d’aborder la complexité de l’organisation pulsionnelle autour de la sexualité génitale. Pratiquer un sport sous-entend faire attention à ses nutriments, apprendre à boire sans éprouver la sensation de soif (qui témoigne d’un degré de déshydratation incompatible avec l’exercice musculaire).

Le troisième est la sécurité relationnelle que représente l’identité de « bande » où l’on est « tous pareils » : les références psychosociales du groupe étayent et contiennent les hésitations identitaires comme les questionnements sur la solitude existentielle. L’équipe sportive et la vie du club répondent à ce besoin de réassurance sociale.

Le quatrième est la recherche de relations affectives sur le mode du même : c’est l’époque pour les garçons du « super pote », pour les filles de la « meilleure copine » permettent de reporter à plus tard la problématique de l’autre. La rivalité sportive s’organise autour des rituels de la compétition entre participants de même sexe, même discipline, même catégorie, même niveau : c’est le principe de l’égalité des chances.

Au fur et à mesure du déroulement de l’adolescence et de la mise à l’épreuve en particulier de toutes les stratégies du désir, ces mécanismes s’assouplissent. Et l’intérêt absolu de la pratique sportive se relativise. Le parapluie n’est plus ouvert en permanence. L’évolution du processus devient moins chaotique, les positions extrêmes s’harmonisent, les investissements d’objets adultes sont synchrones avec les compétences physiologiques et l’organisation pulsionnelle autour de la sexualité génitale. Toute la vigilance de l’environnement du jeune doit être en alerte : le travail de l’adolescence ne doit pas être gêné par un trop bel investissement sportif. Les deux processus doivent se renforcer l’un l’autre afin de faciliter l’épanouissement harmonieux de l’arbre de vie de chacun : le tuteur ne doit pas se confondre avec le tronc principal !

Bibliographie

C. Carrier L’adolescent champion contrainte ou liberté Paris, PUF 1992

Le champion, sa vie, sa mort Psychanalyse de l’exploit Paris, Bayard, 2.002

C. Dolto (sous la dir. de) Dico Ado Gallimard Jeunesse, 2.001.

A.M. Alléon, O. Morvan, S. Lebovici Devenir adulte ? Paris, PUF, coll. Psychiatrie de l’enfant, 1990

Birraux A. L’adolescent face à son corps, Ed. Universitaires, coll. Emergences, Paris, 1990

X. Pommereau, L’adolescent suicidaire, Dunod, 1996.

D. Lebreton (sous la dir. de) L’adolescence à risque, Autrement, Coll. « Mutatins », n° 211, janv 2.002.

Freud S. 1966 Le Moi et le çà (1923) trad. Fr. A. Hesnard, Paris, Payot, p.194.

 
Post Scriptum :
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